Évaluer la qualité de la relation qui se noue entre deux personnes, l’une porteuse d’un handicap, l’autre non : tel est l’objectif de l’étude novatrice menée en conditions réelles, en contexte étudiant, par deux enseignantes-chercheuses en psychologie, Nadège Doignon-Camus et Maria Popa-Roch, du Laboratoire interuniversitaire des sciences de l'éducation et de la communication (Lisec)*. L'un des 31 projets soutenus dans le cadre de l’appel à recherche exploratoire 2024 de l’Initiative d’excellence.
Nous sommes
parties d’une hypothèse : la qualité de la relation nouée entre deux
personnes va forcément être affectée si l’une est porteuse d’un
handicap. Ceci n’est pas un jugement de valeur, mais c’est intimement
lié à la nature humaine, les relations s’établissant sur la base de
jugements amorcés spontanément lors d’interactions sociales et d’a
priori
, expliquent de concert Nadège Doignon-Camus et Maria
Popa-Roch. La première est spécialiste de psychologie cognitive, la
seconde de psychologie sociale. Leurs recherches communes sont menées à
la croisée de ces deux champs.
« D’où viennent les malentendus qui peuvent s’installer ? »
Partant de ce constat, nous avons
besoin de comprendre ce qui se joue dans la rencontre, le face-à-face,
dans l’interaction pour, justement, dépasser ces a priori. C’est ce qui
m’intéresse et ce qui est à l’origine de mes travaux depuis le début
, précise Maria Popa-Roch. D’où viennent les malentendus qui peuvent s’installer ?
, complète Nadège Doignon-Camus.
40 binômes d’étudiants
Pour y répondre, une étude d’ampleur a été menée à l’automne et au printemps derniers, en parallèle du travail de thèse de Mélanie Huber, que codirigent les deux enseignantes-chercheuses du Lisec. Dans
le cadre d’un scénario préétabli, 120 binômes d’étudiants ont été
recrutés pour un travail collaboratif. Trois types de binômes ont été
formés : deux étudiants sans handicap ; un sans handicap/un en fauteuil ;
un étudiant sans handicap et un porteur de dyslexie.
Prenant garde à ne pas laisser leurs biais les influencer, les chercheuses ont établi un protocole de recherche strict : Les
étudiants ne sont évidemment pas au courant qu’ils participent à une
expérience, ils pensent qu’ils participent à un travail de groupe
classique, dans le cadre de leurs études : on parle dans le jargon de
“participants naïfs”
. Concernant le handicap « invisible » (la
dyslexie), l’autre membre du binôme étudiant est mis au courant. Seuls
trois « complices », organisateurs, sont dans la confidence des
véritables règles du jeu.
Décodage
Bras croisés, sourires, signes d’acquiescement, d’agacement et de distanciation comme les bras croisés, ton froid ou chaleureux…
Nous en sommes désormais à la phase
d’analyse, à partir des entretiens, qui ont été filmés. Là encore, tout
est fait pour éviter les biais : une grille d’observation très fine des
comportements a été établie, et codée par des personnes neutres,
informées ni de la nature de l’étude, ni de ses objectifs.
Bras
croisés, sourires, signes d’acquiescement, d’agacement et de
distanciation comme les bras croisés, ton froid ou chaleureux… Il s’agit d’un véritable décodage des comportements, des gestes et des postures
.
L’objectif est à présent d’étudier si la
qualité d’interaction entre deux personnes, mesurée par le comportement
réel (et non pas les déclarations concernant le comportement), varie en
fonction de la présence ou non d’un handicap. Une étude
complémentaire est aussi menée avec des enfants, en situation réelle de
classe, pour observer les interactions entre un enseignant et un élève
porteur ou non d’un handicap.
En raison de leur complexité d’organisation et de leur coût, tant en termes de ressources que de temps, peu d’études en psychologie sont menées à une telle échelle, en conditions réelles
,
soulignent les chercheuses, qui apprécient avoir bénéficié du
financement de recherche exploratoire de l’Initiative d’excellence (lire encadré). Pour
dépasser le stade de l’hypothèse, cela nous a permis de financer les
trois postes d’assistantes de recherche, indispensables au bon
déroulement de l’étude.
Faire évoluer le regard et les pratiques
Si leur travail vient confirmer
certaines hypothèses, selon lesquelles la qualité des interactions est
de moins bonne qualité lorsqu’une personne est en situation de handicap,
il va à l’encontre de précédents travaux menés en psychologie, notamment le fait que le handicap visible stigmatiserait davantage que le handicap invisible (ici, la dyslexie)
.
Quand on sait que la qualité de la
relation patient/soignant s’établit dès les premières minutes, ou quand
on pense à l’enjeu de la relation enseignant/élève, il est crucial
d’être conscient des biais qui nous affectent tous, dans la qualité des
relations que nous nouons.
Pour faire évoluer le regard et les pratiques.
- Écouter aussi le podcast Une publi, des humains : « Handicap et empathie : aux racines des préjugés »
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