Pour elles, c’est la double peine. Les personnes souffrant d’une maladie qui affecte leur comportement doivent aussi faire face au regard négatif de la société. Comment surmonter cette stigmatisation ? Enquête.
Il a fallu dix ans pour que Carole, jeune consultante au parcours apparemment sans accroc, ose parler de ses troubles obsessionnels compulsifs (Toc) devant quelqu’un d’autre que son compagnon ou sa famille.
Dix ans ponctués de longues périodes d’isolement, quand masquer son angoisse convulsive d’être contaminée et ses obsessions hygiénistes lui demandait trop d’énergie, ne serait-ce que pour aller boire un verre avec des amis. « J’avais peur de ne pas être comprise et d’être moquée », se souvient-elle. Une peur fondée sur un climat ambiant peu propice, estime-t-elle : « Le handicap est présenté dans la société comme un sujet lourd, souvent triste. »
Affronter au quotidien la gêne, les railleries ou l'éloignement
Gêne, railleries, éloignement : autant de réactions que les personnes atteintes d’un trouble psychique ou du comportement doivent affronter au quotidien. Ainsi, Alexandre, qui souffre de schizophrénie, a vu ses relations amicales être affectées par des périodes où il se rappelle avoir été « haut perché » ou « être devenu condescendant » sous l’influence d’un sentiment de toute-puissance. « J’ai très mal vécu le fait de voir s’éloigner des amis proches, alors que je leur ai présenté mes excuses et exprimé mon désir de renouer », regrette le jeune homme âgé de 33 ans.
Au cours de ses expériences professionnelles, s’il a rencontré des personnes bienveillantes à son égard, il a aussi vécu beaucoup de situations inconfortables, liées à l’ignorance : « Souvent, les gens confondent la schizophrénie avec un TDI (Trouble dissociatif de l’identité), quand quelqu’un s’identifie à deux, voire plusieurs personnalités. Ou bien ils s’imaginent qu’on peut devenir violent, alors qu’en général on a plus de mal avec nous-mêmes qu’avec les autres. »
Ces troubles invisibles font parfois peser une défiance sur les personnes concernées. Atteinte d’un trouble bipolaire pour lequel elle a été plusieurs fois hospitalisée, Pauline le confirme : « Je sens bien qu’on a plus de mal à m’accorder sa confiance, du fait de ma maladie. » Récemment, un couple de son entourage a sollicité cette mère de famille à la foi vive pour devenir la marraine de leur enfant : « Ça m’a fait un plaisir immense. Jusqu’à présent, personne n’avait voulu me confier cette responsabilité ! »
La désinvolture des personnes publiques ou des médias
Mère d’un jeune homme schizophrène et fondatrice du podcast Gueules Cachées, qui donne la parole à des personnes atteintes de troubles psychiques, Laetitia Forgeot d’Arc souligne la désinvolture des personnes publiques ou des médias. « Des responsables politiques se taxent de “schizophrènes” ou se défendent d’être “autistes”. C’est très inscrit dans notre société. Moi-même qui suis concernée familialement, je peux plaisanter avec le terme “borderline”, contribuant à sa stigmatisation, reconnaît-elle. Tous ces mots sont employés à mauvais escient et connotés négativement. Cela pousse les personnes à se recroqueviller sur elles-mêmes ; or le repli social est précisément en première ligne des symptômes de ces maladies-là. »
Le rôle de l'environnement pour dépasser les étiquettes négatives
De son côté, Alexandre rêverait que sa mère s’intéresse davantage aux mécanismes et à l’univers de la schizophrénie, par exemple en suivant la Boussole, le programme de la Maison perchée – une communauté de jeunes adultes atteints de troubles psychiques –, dont il est proche, destiné aux familles de malades. Après des années où le sujet était tabou, sa mère a rejoint l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques).
Des groupes de parole mis en place par des associations
Les groupes de parole mis en place par des associations sont souvent d’un grand secours pour les personnes qui se sentent incomprises. Élisabeth Vincent voit en eux « un levier de sociabilisation ».
Alexandre, lui, est devenu « pair-aidant » au sein de la Maison perchée, haut lieu de promotion de cette forme nouvelle d’accompagnement venue du monde anglo-saxon qui mise sur l’apport de l’expérience et des échanges réciproques entre personnes. « Ça me fait du bien d’aider d’autres personnes », se réjouit-il. Laetitia Forgeot d’Arc se félicite de l’arrivée en France de ce dispositif, pour lequel un diplôme universitaire a été mis en place : « Dire à des personnes atteintes d’un trouble qu’elles sont des expertes, un atout pour les autres, c’est très fort ! » Pour lutter contre les situations stigmatisantes en milieu professionnel, certains tombent le masque et s’engagent. Ainsi Carole ou Alexandre, qui parle de la Fresque de la santé mentale, des formations aux premiers secours en santé mentale, de l’installation de lignes d’écoute. Autant d’outils récents mis à disposition des responsables en ressources humaines ou des manageurs. Preuve que les mentalités commencent à évoluer.
Maladies invisibles : comment vivre avec le poids du regard des autres ?
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