La santé mentale est érigée Grande cause nationale pour l’année 2025. L’occasion pour le professeur Antoine Pelissolo, psychiatre au CHU Henri-Mondor (AP-HP) de Créteil (94), de mettre le sujet en lumière et de faire de la psychiatrie une priorité de santé publique. Interview.
La santé mentale comme Grande cause nationale : il était temps ?
Antoine Pelissolo : Oui, en effet, je me réjouis que 2025, soit décrétée Grande cause nationale. Cela va permettre de mettre un coup de projecteur sur les maladies psychiques, informer le grand public et faire en sorte qu’elles ne soient plus taboues. De nombreuses voix de personnalités dans divers domaines s’élèvent pour déstigmatiser les maladies mentales et l’on trouve de plus en plus d’information dans les médias. La parole se libère, heureusement, car 13 millions de personnes souffrent d’un trouble psychique chaque année en France. Mais, je rencontre encore beaucoup de patients qui n’osent pas en parler, surtout dans le milieu professionnel où il est encore très mal venu de révéler ce genre de maladies.
Que pensez-vous des récentes annonces faites par le gouvernement, dans ce cadre ?
A. P. : Certaines mesures vont dans le bon sens. Par exemple, repérer et intervenir précocement pour les jeunes de 12 à 25 ans. Mais il faut y adjoindre des moyens financiers, car la pédopsychiatrie, notamment, est dans un état déplorable. Augmenter le nombre d’internes* et faire en sorte que cette spécialité soit plus attractive est une bonne mesure, mais il faut des équipes formées pour accueillir les étudiants en stage et nous sommes déjà en flux tendu dans les services.
En vingt ans, le nombre de patients a doublé. Environ un tiers des postes de praticiens hospitaliers sont vacants, et le nombre de lits a diminué.
Cette Grande cause ne doit pas seulement être un label sans mesures concrètes, sans moyens financiers conséquents. En vingt ans, le nombre de patients a doublé. Environ un tiers des postes de praticiens hospitaliers sont vacants, et le nombre de lits a diminué. Nous attendons des mesures plus ambitieuses car il s’agit de « réarmer » l’ensemble du système : réduire les délais pour obtenir un rendez-vous mais aussi réduire le taux d’occupation des unités d’hospitalisation. La plupart des services sont saturés en permanence. Il faut adapter l’offre de soins, aussi bien en hospitalisation qu’en ambulatoire. Car les besoins en psychiatrie ne cessent d’augmenter et l’offre de soins est insuffisante pour proposer au plus grand nombre des prises en charge de qualité.
Ce plan va-t-il redorer la psychiatrie ?
A. P. : En France dans les années 1970, la psychiatrie française était prise pour modèle avec des équipes très expertes, beaucoup de réflexion, une culture de la transmission des savoirs, un bon accompagnement des patients… Nous avons aussi notre autocritique à faire parce que depuis quelques années, notre secteur s’est un peu enfermé sur lui-même. Aujourd’hui, le métier manque d’attractivité et pourtant c’est un métier passionnant avec beaucoup de satisfaction professionnelle et personnelle. Il faut aussi pouvoir mieux accompagner les patients après l’hospitalisation dans leur réinsertion, au sein de la société. Réfléchir à une nouvelle organisation des soins et se projeter un peu plus vers le futur.
Les dernières études montrent que la santé mentale des jeunes se dégrade, pourquoi ?
A. P. : La pandémie et les confinements ont considérablement altéré la santé mentale des enfants, collégiens, lycéens, étudiants, jeunes adultes… Mais la situation ne s’est pas améliorée depuis, au contraire, elle s’est dégradée dans cette population. il y a eu en effet une véritable rupture de vie sociale, ce qui a beaucoup de répercussions, surtout à cet âge de la vie.
Il existe aussi un contexte anxiogène, les guerres, le dérèglement climatique… qui trouve une caisse de résonance à travers les réseaux sociaux, ce qui a une influence, sans doute.
De plus, la société a changé, les jeunes ont moins de liens sociaux dans la vie réelle. L’isolement fait souffrir et ceci est vrai dans toutes les couches de la population. Encore plus dans les quartiers précaires et dans des régions rurales. Car il y a encore moins d’accès aux soins.
*Le nombre d’internes en psychiatrie passera de 500 à 600 par an à partir de 2027.
Santé mentale : « La Grande cause ne doit pas seulement être un label, sans mesures concrètes, sans moyens financiers conséquents »
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