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20 juin 2025

[Tribune] : Non à la technocratisation du soin psychique

Le gouvernement prône une approche standardisée des psychothérapies. Une vision technocratique que dénoncent psychologues et chercheurs dans un texte collectif.

Si le constat de l'ampleur des souffrances psychiques des Français ne cesse de se confirmer depuis les années 2000, la récente crise du Covid a été un vrai tournant politique : création d'un poste de délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie en 2019, Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en 2021 suivies du Sommet mondial sur la santé mentale, création de « MonParcoursPsy » en 2022 devenu « MonSoutienpsy » en 2024. Selon l'Assurance maladie, une personne sur quatre serait à risque d'un trouble psychologique au cours de sa vie.

Dans cette logique, la santé mentale a cette année été érigée « grande cause nationale » par le gouvernement, avec ce slogan « Parlons santé mentale ! ». C'est à ce titre que, en tant que psychologues cliniciens, enseignants et chercheurs en psychopathologie, nous souhaitons prendre la parole dans cette tribune, en réponse – d'abord – aux récentes propositions du Pr Frank Bellivier (délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie) mais aussi – plus généralement – pour contribuer au débat sur la santé mentale en France.

Dans une prise de parole au Sénat suivi d'un article publié dans L'Express le 27 mars – ces propos ayant été reconfirmés le 16 mai dernier lors des 40 ans du titre de psychologue –, le Pr Bellivier affirme que l'offre de soin psychologique doit être revue en profondeur au motif qu'elle ne serait pas assez fondée sur des « données probantes ».

La santé mentale n'est pas qu'une affaire médicale

Selon lui, les psychologues actuellement formés le seraient de façon insuffisante ; il s'agirait de ne les certifier « cliniciens » qu'à la condition qu'en plus de leur titre de psychologue (obtenu à bac + 5), ils soient formés à un éventail réduit de thérapies supposées scientifiquement efficaces comme « la remédiation cognitive dans la schizophrénie, la psychoéducation dans les troubles bipolaires ou […] les troubles dépressifs récurrents, les thérapies cognitivo-comportementales dans les troubles anxieux, ou l'EMDR dans le psychotraumatisme ».

Cliniciens recevant quotidiennement des patients en souffrance – schizophrènes, dépressifs, anxieux ou psychotraumatisés – mais formés à d'autres types de thérapies aussi rigoureuses et reconnues, nous sommes interpellés par ces affirmations peu étayées scientifiquement, qui témoignent d'une méconnaissance tant du métier de psychologue que de ce que soigner veut dire. On se doit de le rappeler dans le débat public : non, la santé mentale n'est pas qu'une affaire médicale !

Les psychothérapies ne reposent pas sur un principe actif identifiable comme c'est le cas pour les médicaments, et ne peuvent donc être administrées selon les mêmes logiques de traitement. Par ailleurs, non, les psychologues ne sont pas des psychotechniciens, experts en tel ou tel type de thérapie. Et, enfin, non, la recherche scientifique sur l'efficacité des psychothérapies ne conclut pas à la seule efficacité des quatre approches citées par M. Bellivier, à l'exclusion des autres.

Il faut savoir décrypter que, derrière les fausses évidences prônées par le délégué ministériel à la santé mentale, le modèle qu'il préconise dans le champ du soin est un modèle essentiellement biomédical qui fait de la souffrance psychique une « maladie comme les autres » (ainsi que l'affirme la fondation FondaMental à laquelle il est fortement lié) et qui situe de facto le psychologue à une place de paramédical exerçant sous l'autorité du psychiatre – comme si, à chaque diagnostic correspondait un seul et unique traitement psychothérapique, testé selon les standards de la médecine. Et comme si le psychologue se réduisait à n'être qu'un technicien de la psychothérapie, alors que ses fonctions vont bien au-delà.

De multiples leviers au cas par cas

Si un tel modèle biomédical est légitime et a fait ses preuves dans le soin des pathologies somatiques, il est aujourd'hui controversé en ce qui concerne les troubles psychiques et leur traitement. Les études les plus récentes concluent plutôt que la métaphore médicale en psychologie donne lieu à de nombreux biais de compréhension et de prise en charge, au sens où il n'y a pas, stricto sensu, de « santé mentale » que viendraient « troubler » des « maladies mentales », lesquelles pourraient être traitées par des psychothérapies-médicaments.

La réalité clinique est plus complexe. Les souffrances psychiques sont multifactorielles : elles relèvent certes en partie de causes génétiques et environnementales mais tout aussi bien de causes psychiques. Ces trois factorialités s'intriquent dès la vie intra-utérine et engendrent au fil du développement psychologique des effets en cascade, fondant la singularité de chacun.

De ce fait, aucune approche exclusive n'est aujourd'hui praticable pour l'ensemble des patients ayant reçu un même diagnostic, sur le modèle de ce qui a lieu en médecine. Différentes psychothérapies apparaissent au contraire comme également efficaces et de multiples leviers cliniques doivent être inventés au cas par cas.

Plus encore, ce qui se dégage des études depuis une vingtaine d'années en termes d'efficience thérapeutique, c'est l'importance du facteur « non spécifique » de la relation au thérapeute. En d'autres termes, il s'agirait plutôt de promouvoir les psychologues les mieux formés aux multiples dimensions de l'« alliance thérapeutique » (les plus souples, les plus capables de se décentrer pour entendre quelque chose de la souffrance psychique des patients et co-construire avec eux le soin le plus ajusté).

Or il se trouve que ces compétences sont électivement portées par les « psychologues cliniciens » formés à la psychopathologie psychanalytique, ceux, paradoxalement, que le délégué à la santé mentale entend exclure du champ du soin en leur refusant le titre de « clinicien ».

Une perte de chance pour les patients

Une grande partie de la profession – d'ailleurs composée de psychologues de tous bords – s'est à un titre ou à un autre récemment insurgée à l'idée d'un tel supposé « kit psychothérapique » d'État, sans aucun fondement clinique ni scientifique. Une partie des psychiatres s'est également jointe au mouvement.

Concrètement, un trouble anxieux ou une dépression peuvent être traités avec une même part d'efficacité – sur la moyenne des patients – par une psychothérapie psychanalytique, une thérapie cognitivo-comportementale, une thérapie médicamenteuse ou un mixte des deux ou des trois, en fonction de l'adhérence au traitement de chaque personne concernée, de son histoire de vie, de ses ressources du moment. Faire croire qu'il y aurait, dans le champ de la santé mentale, une seule « meilleure psychothérapie » pour chaque supposée « maladie » constitue donc – au-delà de la pseudo-scientificité d'une telle position – une perte de chance pour les patients.

Une telle politique en santé mentale – décrochée des réalités du terrain ainsi que des conclusions de la science – risque bien, comme ça l'a été pour les pays qui sont allés dans cette voie, de devenir elle-même, à moyen terme, un problème pour la santé mentale. Le modèle médical ne saurait constituer la réponse à tous les défis de notre société – y compris ceux relatifs à la souffrance psychique.

Santé mentale : les psychologues contre la réforme Bellivier

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