Alors qu'ils ont montré leur efficacité selon les psychiatres qui y travaillent, plusieurs des 54 centres experts que compte le pays pourraient fermer leurs portes dès cette année, faute de dotation.
Article rédigé parAnne-Laure Dagnet Radio France Publié le 14/04/2025
Ils sont essentiels pour tous ceux qui souffrent de graves maladies psychiatriques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Les centres experts sont menacés car leur mode de financement a changé cette année et certains des 54 établissements sont privés de dotations publiques. Or ce sont les seuls à fournir aux malades un bilan complet et des thérapies innovantes.
franceinfo a rencontré des patients et des équipes qui les suivent à l'hôpital Albert Chenevier de l'AP-HP à Créteil, dans le Val-de-Marne.
Dans le bâtiment un peu décrépit du pôle psychiatrie, un père et son fils de 26 ans ont rendez-vous avec l'un des psychiatres du centre. "Aujourd'hui, c'est une consultation qui va durer à peu près une heure, explique le docteur Franck Schürhoff. Après, on fera le bilan." Ce père est venu à l'hôpital Albert Chenevier de l'AP-HP de Créteil sur recommandation du psychiatre qui suit son fils en ville. "On veut définir exactement ce qui se passe pour pouvoir trouver une parade à tous ses freins", dit-il. "Ce qui me gêne actuellement, ce sont des pensées intrusives... complète son fils d'un ton hésitant. J'ai un trouble aussi un peu délirant. J'ai une mauvaise mémoire..."
Et son père de reprendre : "En fait, il s'apercevait qu'il ne pouvait pas être avec les autres, et qu'il avait l'impression d'être vu, regardé, qu'on va l'attaquer, qu'il est sous écoute... Ça a été très dur."
Un bilan global
Ce jeune homme est schizophrène et son traitement ne suffit pas à canaliser ses troubles. Ce jour-là, c'est le psychiatre qui coordonne le centre expert de Créteil qui le reçoit dans une petite salle, équipée d'une table et d'un ordinateur : "On va faire un point général sur l'histoire des problèmes psychologiques. Là, j'ai cru comprendre que ça avait démarré depuis à peu près deux ans. Et ensuite, je vous listerai tout un tas de symptômes, qu'on voit dans différentes pathologies d'ailleurs, et, pour chacun, vous me direz si vous les avez déjà eus ou si vous les avez actuellement."
Après cette consultation, le professeur Franck Schürhoff dressera un bilan global avec un infirmier pour des analyses de sang, une prise de tension, un électrocardiogramme. Il fera aussi intervenir un neuropsychologue. Et à l'issue de ce bilan étalé sur deux jours, le psychiatre proposera à ce jeune homme toute une gamme de soins, c'est ce qui rend ces centres experts uniques. "On est indispensable parce qu'on propose une amélioration dans la prise en charge des patients avec des armes thérapeutiques qui n'existent pas forcément ailleurs", soutient Franck Schürhoff.
"Améliorer la mémoire des patients, améliorer leurs capacités intentionnelles, améliorer leur fonctionnement dans le quotidien, leur façon de penser quand elle est pathologique. On peut travailler avec les patients sur leur capacité à sortir de l'isolement social, du repli."
L'équipe à Créteil reçoit une dizaine de nouveaux patients par semaine pour réaliser ces bilans particulièrement poussés. Et dans toute la France, ce sont plus de 20 000 personnes qui ont été évaluées par les 54 centres experts en psychiatrie.
Plébiscité par les patients et les médecins
Les centres experts s'occupent aussi de l'autisme et des dépressions sévères. Ils sont plébiscités par les patients, parce que cela fonctionne. Cela a permis à Patricia, professeure d'histoire à la retraite bipolaire, de maîtriser sa maladie. Elle a été suivie pendant trois ans par un centre expert qui lui a recommandé un médicament qui lui a changé la vie. "Ça m'a donné des outils pour pouvoir reprendre ma vie en main, dans le sens où quand j'ai été diagnostiquée bipolaire, le monde s'est écroulé. C'est-à-dire qu'en fait, je ne savais plus qui j'étais. J'étais persuadée que j'étais folle. Ce qui n'est pas le cas. Mais quand on a un diagnostic comme ça, on ne sait pas", explique-t-elle.
Le ministère de la Santé a en effet modifié leur mode de financement, mais la dirigeante de la fondation FondaMental a des arguments pour défendre son réseau : "On a montré qu'il y a une diminution de 50% des journées de réhospitalisation, 12 mois après un passage sur un centre expert. Donc, on imagine bien que si ses patients vont mieux, le système global s'améliore parce qu'ils vont moins aux urgences, parce qu'ils coûtent moins cher et qu'on peut réallouer des budgets à d'autres choses. Donc globalement, ce système a montré toute son efficacité", affirme la psychiatre.
Faute de dotations suffisantes pour les hôpitaux dont ils dépendent, certains centres experts comme ceux de Clermont-Ferrand ou de Strasbourg pourraient fermer leurs portes dès cette année.
REPORTAGE. Traitement contre les maladies mentales : malgré leur efficacité thérapeutique, certains centres experts sont menacés de fermeture
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